Être une Bombe dans un monde atomique

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Et à lire juste là:

Retour sur la semaine féministe et anti-nucléaire à la ZAD de Bure, du 24 février au 1er mars 2020.

« À Bure, l’état veut enfouir les déchets les plus dangereux du système nucléaire français pour les cacher loin de nos yeux. Dans l’est de la France ou ailleurs, nous refusons cette politique de l’oubli. Nous ne voulons pas qu’il sacrifie des territoires entiers, polluant des sous-sols pour des centaines de milliers d’années. Nous refusons la banalisation de la vie contaminée. Nous n’acceptons pas que la menace de sa pollution perpétuelle soit occultée. Nous ne voulons pas du nucléaire.
Nous appelons à converger la semaine du 24 février au 1er mars 2020 en mixité choisie sans hommes cis-genre* pour affirmer de tous nos corps avec celles et ceux qui luttent à Bure et ailleurs, notre opposition au nucléaire et son monde. »

*Être cisgenre signifie que notre genre correspond à celui qu’on nous a assigné à la naissance. Cette précision marque le fait que les femmes et hommes trans’ ont toute leur place dans cet évènement.

Communiqué d’invitation et de nombreuses autres informations à retrouver sur le site : bombesatomiques.noblogs.org

Depuis quelques temps, je m’intéresse de plus en plus à certains sujets, la base commune de tous se retrouvant principalement dans la lutte contre les dominations : sur les corps, la terre ou les esprits. Quand je pense au nucléaire, j’ai comme une boule dans la gorge nourrie par la vue des catastrophes passées et consciente des aberrations qu’il engendre. Quand je pense au féminisme, j’ai comme un feu dans le ventre, en colère de me rendre compte de sa nécessité et remplie de joie à l’idée de ce que ça peut nous apporter individuellement et collectivement. Étant donc concernée par la lutte anti-nucléaire et par le féminisme, j’ai répondu favorablement à cette invitation des bombes atomiques. J’ai passé peut être plusieurs heures à errer sur leur site avant l’évènement, persuadée que j’allais participer à quelque chose de grand et que quoi qu’il arrive j’en reviendrais changée, je ne me suis pas trompée…

Un rassemblement en mixité choisie, anti-nucléaire, ce n’est pas seulement reprendre pouvoir sur ce qui nous échappe et ceux-là qui nous gouvernent, c’est aussi s’empuissanter en se réappropriant un langage inclusif, des contres-postures, de la poésie de l’instant et des connaissances fluides, non retransmises éternellement par les mêmes.

Cette semaine-là, nous avons fait l’expérience de l’horizontalité, la vraie, celle qu’on se murmure souvent vouloir, mais qui toujours nous nargue et se faufile en dehors, de peu. Nous ne nous sommes pas coupé·e·s la parole mais écouté·e·s avec la bienveillance que réclame quelqu’un·e qu’on coupe d’ordinaire. Il y a eu parfois quelques maladresses quand les mots employés n’étaient pas les bons, mal accordés ou mal genrés, en devenant excluants, mais bien vite nous retrouvions ouvertement la possibilité d’un dialogue, sans jamais fermer cette porte qui peut soigner, réparer et apprendre.

On a agit avec finesse et un peu de folie, car il nous en fallait bien et qu’il en faudra toujours plus pour détruire les projets absurdement tarés. On a écouté et compris l’importance de notre présence et sa valeur. Cet évènement a créé des interstices dans nos cerveaux, parfois malades d’avoir trop subi. Une force nouvelle nous a fait nous soulever, respirer conjointement, rire, danser et parfois même pleurer. Pleurer des larmes chargées de sens, qu’il s’agisse de sanglots étouffés ou de grosses larmes de colère, nous étouffant les poumons à coups de poing. Si certain·e·s ne se sentaient pas en puissance, maintenant que cela est sorti, ielles le seront. J’ai compris la signification du mot sororité, son importance et sa fraîcheur. J’ai gouté au plaisir de n’être pas objectifiée, ni observée comme potentiellement séductible, me forçant ainsi à me regarder faire, l’autre me renvoyant constamment à ma manière d’occuper l’espace, de parler et d’agir. J’ai librement erré dans une confiance entière et un appétit grandissant de servir une cause commune.

La grande grange froide qui nous recevait, entre autres pour manger, se retrouvait emplie d’odeurs fameuses, de ces repas délicieux faits à plusieurs mains dans les conversations passionnantes et le partage d’expérience. On s’est senti·e·s moins seul·e·s, on s’est lié·e·s, on s’est rêvé·e·s ne jamais partir et continuer cette respiration conjointe. On s’est aussi fait·e·s électrons libres pour se mélanger à celleux que l’on ne connaissait pas. Nous sommes reparti·e·s plus nombreux·ses qu’en arrivant, avec une meute dans la tête, continuant à l’entretenir parfois dans la vraie vie. Que vous étiez belles et beaux toustes à votre manière gracieuse d’être au monde et d’emmerder celleux qui s’en seraient retrouvé·e·s gêné·e·s, amèr·e·s ou jaloux·ses.

Il est vrai malgré tout que les personnes présentes étaient relativement homogènes : majoritairement blanches, du même âge, appartenant aux mêmes classes sociales et de la même identité de genre. Pour que la lutte se fasse d’autant plus juste et forte, il faut qu’il y ait des points de rencontre, le féminisme se doit d’être intersectionnel et inclusif. Les ponts nous permettant de nous rejoindre doivent être constamment redessinés et affinés afin qu’il soit aisé et évident de nous retrouver toustes ensemble, fort·e·s d’être lié·e·s. Il est donc de notre responsabilité collective, de rendre les espaces militants les plus ouverts et déconstruits possible, y compris ceux qui le sont déjà relativement, comme à la Maison de la Résistance, à Bure.

Vers la fin de semaine, après avoir passé les instants nécessaires à notre rencontre et à vivre ensembles, nous avons conjointement réalisé qu’il était temps de réfléchir si nous voulions faire une action, alors tout s’est accélérée. Nous nous sommes divisées par petits groupe de travail pour questionner différents thèmes, dont un: l’évènement prévu en fin de semaine. Ces espaces aménagés en nombre restreints ont permit d’aborder de manière plus complexe tous ces sujets, bien qu’ils aient parfois pu amener quelques frustrations, car nous étions gourmand·e·s de participer à tous. C’est nourri·e·s des divers discussions passées qu’a surgi l’idée de l’action et que nous avons décidé de la baser sur la création d’un nouvel imaginaire commun, pour pouvoir fêter la vie et non pleurer la mort. Lassé·e·s des défaites, il est temps d’inventer nos victoires. Afin que tout soit près à temps, chacun·e·s s’est affairé·e·s pour finir son costume ou préparer des éléments clé.

Et finalement, le samedi 29 février 2020, nous avons eu la joie d’aller danser devant les bureaux de l’ANDRA (l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) afin d’y fêter l’abandon du projet CIGEO, visant à enfouir des déchets nucléaires à Bure.

Nous avons; devant des policiers penauds, cadenassé les portes de l’ANDRA avec de grosses chaines, laissant pour quelques temps ces éboueurs·euses du nucléaire prisonnier·e·s de l’univers qu’ielles se sont construit·e·s. Nous avons incendié des hommes-marionnettes et avec eux les symboles qu’ils véhiculent, les flammes se reflétaient dans nos yeux, chargés d’un nouvel espoir…

Ce que nous avions mis en place durant la semaine entière et particulièrement sur les derniers jours a nourri l’évènement final : une confiance au sein de notre groupe, une forme de frénésie nous rendant puissant·e·s dans les moments de tension, une écoute qui nous as permis d’arrêter au moment voulu notre action et de rentrer toustes ensemble ne laissant aucun·e·s de nous derrière, à la merci dès autorités. Nous avons longuement débattues au préalable des envies et besoins de chacun·e·s individuellement pour que l’ensemble soit cohérent. Ces instants parfois complexes, se sont révélés nécessaires et indispensables.

En sortant de ces instants hors temps, nous étions nombreux·ses à avoir les mots « bouleversement » et « sororité » à la bouche. Bien-sûr, certaines AG se sont faites longues et la fatigue a pu créer divers instants moins bien huilés qu’à l’habitude mais l’évènement prévu a fini par avoir lieu dans les chants, danses et symboles nécessaires. Nous nous sommes accordé·e·s sous cette pluie aux allures de tempête, qui lacérait nos mains et nos banderoles mais jamais nos idées ni notre volonté. Nous avons fait une grosse farce, un carnaval digne et nécessaire. Nous sommes devenu·e·s acteurs·rices de ce changement que nous souhaitions voir advenir et soeurfrères sous le vent.

Cette semaine-là, je suis devenue une bombe atomique mais aussi une louve…

Des ateliers organisés par celleux qui le souhaitaient nous ont permis de nous découvrir plus en profondeur et d’éveiller notre créativité ainsi que notre force et c’est au sein de l’un d’eux qu’est née cette louve en moi.

Je vous invite à la découvrir…

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« Ma louve fait peur, elle fait peur parce qu’elle ose. Elle a la force de ses crocs et son pelage chaud pour étreindre.

Râle, balbutiement, emphase et objection.

Elle se laisse guider par ses sens au rythme de ses combats. Ma louve a les yeux gris de colère et d’espoir. Une larme se balade au coin de son museau que parfois elle balaie d’un coup de langue entre deux cris. Bien vite une autre la remplace, une trainée salée a fini par apposer son empreinte sous ses orbites. Ses yeux sont un miroir du monde s’inscrivant dans son ventre. Elle a l’estomac acide et les pattes tremblantes quand elle se perd.

Ma louve aime la lune, les arbres, courir nue sous sa peau, chevaucher son corps, faire l’amour, danser et respirer fort. Ma louve a peur du noir complet, de cette mort passagère. Mais l’obscurité est son chandelier.

Elle racole, raconte, maugrée, ralentit, s’enthousiasme, elle ne sait pas s’ennuyer.
Elle a peur de l’autre, de son regard prison quand l’autre la transperce de doutes.

Autre, autrement, enterrement…

Elle aime dire qu’elle s’assume mais ma louve ne sait pas à quoi elle ressemble. Elle ne sait pas s’embrasser, trop souvent, elle s’embrase. Ma louve a l’intensité en guise de navire et l’océan à découper, découvrir par chaque morceau.

Ce qui est grand l’angoisse.

Quand elle est en colère, elle s’efface dans son nuage pour laisser l’eau en déborder. Ma louve se veut forte et puissante, elle l’est; peut-elle l’être ? Elle croit pouvoir le devenir, mais elle ne l’est pas tout à fait, pas comme elle aimerait l’être.
Ma louve est sensible et comprend les peines qui l’entourent, les avalent, les empoignent, les partagent sans savoir s’en séparer.

Moi, louve… »
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Je ne sais pas quand sera le prochain rassemblement, mais à toutes celleux (hors hommes cisgenres) qui se reconnaissent dans la lutte anti-nucléaire de près ou de loin, n’hésitez pas à devenir vous-mêmes bombes atomiques, nous façonnerons le monde pour qu’il retrouve sa fraîcheur et détruirons ce qui lui nuit avec la hargne des oublié·e·s…

Participer à cet évènement m’a permis entre autre choses de déconstruire ma manière de penser, de dire et d’écrire. Le masculin n’est par neutre, par conséquent le féminin non plus, c’est donc consciemment que j’ai décidée de rendre ce texte le plus juste possible. Si certaines choses vous ont semblé dures à l’oreille, il faudra s’y habituer, les temps changent… Dans un pays où la devise prône la fraternité et où le masculin l’emporte, excluant ainsi toute une partie de sa population, la neutralité n’existe pas, alors à nous de l’inventer…

Aliothéose

P.S: Nous apprenons, au moment même où nous enregistrons ce texte — c’est en dire en pleine crise sanitaire de Covid-19 — l’évacuation de la ZAD de la Dune. C’est à grand renfort de brutalité policière et citoyenne que les cabanes y ont été incendiées; les véhicules, servant pourtant d’habitat à certain.e.s emmenés en fourrière; les zadistes embarqué.e.s puis relâché.e.s en pleine nuit, bien plus loin, dans des villes inconnues, sans attestation ni respect. A la merci de nouvelles patrouilles, alors que règne la règle du confinement. 

Une telle manœuvre autoritaire montre bien l’ambition de l’état quand à la destruction de toute forme d’altérité. Leur niveau d’engagement est ici affirmé; plus aucune règle ni limite ne semble valoir. Ainsi soit-il. 

Nous affirmons notre total soutien à la ZAD de la Dune et celleux qui y luttent; et appelons conjointement à l’occuper à nouveau, dès que possible et pour le temps qu’il faudra. 

Ces politiques incendiaires ne font que nous donner du combustible. 
Plus que jamais, nous lutterons, dans l’entre-aide et la joie, jusqu’à voir ce règne de la brutalité s’effondrer.

P.P.S (14 avril): Nous apprenons ici la création d’un décret risquant de « renforcer le ciblage des activistes antinucléaires ». A découvrir ici:
=> https://reporterre.net/Un-decret-risque-de-renforcer-le-fichage-des-antinucleaires?fbclid=IwAR1e4TnDBb_FatgXYvyIr_1J_o9vY1hwQE2o_N_A-QC318AWKNdMUjo49fY

Retrouvez les Bombes Atomiques ici:
=> https://bombesatomiques.noblogs.org

Plus d’informations sur le combat mené à Bure à cette adresse:
=> https://bureburebure.info/