Fatigués mais libres

Jusqu’où devrons nous nous battre ?
Pour 
Combien 
de temps
Encore ?

Nous luttons car ce qui est proposé comme réalité ne nous semble pas juste. Pas juste, car pas digne de ce que des femmes et des hommes devraient vivre. De ce que l’ensemble du Vivant devrait vivre. Je suis sûr que vous comprenez cela, que des images vous viennent. Le monde est aujourd’hui assez violent pour bien comprendre cela.
Alors nous osons riposter, défier le réel. Nous cherchons à l’adapter à nos perceptions, à notre sens moral.
A ce que nous pensons être la beauté du monde.
Nous raturons les schémas de la norme et acceptons la marge, nous redéfinissons les standards. Nous marchons depuis des mois dans les rues, par tous les temps, brandissant des banderoles, hurlant ce que nos coeurs nous crient, affrontant la police et leurs charges. Nous avons bloqué des centres commerciaux, occupé des buildings, investi des champs, coupé des routes et habité des ronds-points. Nous nous sommes parfois habillés de noir. Nous avons aussi brisé des vitrines, détruit des distributeurs, eux qui distribuent, en effet, bien des cauchemars et si peu de rêves. Nous l’avons fait et le referont car nous ne sommes toujours pas entendus: nous voulons la chute du régime autant que la possibilité de créer nos propres modèles d’existence: ils seront pérenne et résiliants, écologiques, décroissants, féministes et anti-capitalistes.
Nous créons aussi, par endroits, dans les interstices, ces modes de vie fidèles à nos aspirations. Nous tentons de recomposer des mondes, de bricoler des réponses là où des vies s’harmoniseraient. Où tout ne serait pas que rendement, mais équilibre et Amour aussi.

Seulement, faisant face à la destruction, nous sommes constamment attaqués. C’est logique, bien-sûr. Celles et ceux qui défendent le vivant ne peuvent-être que les ennemis de celles et ceux qui l’exploitent.
Nous l’avons cherché parait-il, la guerre.
Oui, car nous gênons leur modèle mortifère.

Hier encore, un homme, Cédric Chouviat, 42 ans, est mort suite à une interpellation policière lors d’une manifestation.

Alors c’est ainsi, si nous sommes du côté du Vivant, nous devons nous préparer à mourir peut-être trop tôt. Brassens se trompait il me semble, car nous mourrons bien pour des idées, et pas toujours de mort lente. Nous devons donc redoubler d’effort si ce monde délétère ne nous convient pas. Si nous voulons permettre aux enfants qui viennent d’avoir un avenir moins bestial, et si nous voulons, pour toutes et tous, dores et déjà, une vie meilleure, respectée et respectueuse.

Mais, et ce n’est pas une honte de le dire, nous qui pourtant hurlons l’inverse dans les rues: nous sommes – parfois – fatigués. 
Le capitalisme ne fait pas trêve et à peine une lutte est-elle gagnée que nous tournons la tête et réalisons qu’il y en a encore cent autres à mener. 
Pouvons nous, au moins, nous reposer ? 
Le repos nécessite la tranquillité d’esprit, une certaine paix dans l’âme qui semble inaccessible tant la bataille partout fait rage.
Ce système rend la vie rude à celles et ceux qui la veulent juste.

Comment dormir en paix quand vivre se résume parfois à simplement contrer des offensives ou à lutter pour survivre ? Comment dormir en paix quand l’année 2019 s’achève sur cent-vingt-deux féminicides ? Que les réformes gouvernementales ne visent rien d’autre qu’une précarisation toujours plus grande du prolétariat au profit des bourgeois ? Que le mépris de classe est ouvert et affiché, les pauvres traités de fainéants alors qu’ils s’échinent dans des boulots assassins ? Que le sexisme ou l’islamophobie sont ambiants ? Que l’Australie brûle et qu’avec elle vingt-quatre personnes ont déjà trouvé la mort, ainsi qu’un demi-million d’animaux, mais qu’en même temps, un feu d’artifices de quatre millions de dollars est tiré depuis Sidney pour le nouvel an ? Que 700 enfants dorment chaque soir dans les rues de Paris, que des enfants y naissent puis y vivent avec leur famille, dans la plus grande indifférence ?

Comment dormir en paix quand règnent des pyromanes dans les pays en flammes ?

Voilà pourquoi nous sommes fatigués, mais sans cesse, malgré tout, nous lutterons. Avons nous d’autres choix ?
Nous refuserons de nous soumettre à ces situations indignes. Nous ne tolérerons pas l’intolérable. Nous n’y laisserons pas notre humanité. Nous ne nous satisferons pas de l’indignation, mais la pousserons jusqu’à la révolte ! Nous continuerons de nous battre contre toute forme d’exploitation. Qu’avons nous à faire sinon ? Nous assoir et abdiquer, accepter inacceptable ? Se dire que, finalement, c’est bien ainsi, qu’on ne peux pas faire mieux ou autrement ? Non merci. Offrons nous un supplément d’imagination, de foi et d’ambition.
Alors à ces question « jusqu’où devrons nous nous battre et pour combien de temps encore », nous l’avons compris: pour toujours.
Mais le problème n’est pas là car l’éternité nous va bien. Non, ce qui manque, c’est le soutient. Nous avons besoin de force, d’épaules solidaires et du nombre. Nous avons besoin, comme les grues savent le faire lorsqu’elles migrent, que d’autres prennent la place quand nous sommes un peu épuisés ou affairés à d’autres choses. Ne vous en faites pas, nous reviendrons bien vite.

Nous sommes révolutionnaires, car la situation aujourd’hui en France et par ailleurs, ce six janvier 2020, est intenable, et révoltante.
Nous sommes révolutionnaires car il n’y a plus aucune place pour l’indifférence dans ce monde.

Par ailleurs, ne voyez ici aucune plainte, car si nos vies sont parfois un peu dures, nos corps un peu lessivés ou nos nuits un peu courtes, nos joies, elles, sont magnifiques et semblent aussi éternelles que la lutte. Nous vivons selon nos règles et en suivant celles de l’Amour, de l’harmonie et de la dignité. C’est une chance que nous cajolons.

Nous vivrons peut-être fatigués, mais libres, debout, entiers.
Venez avec nous, qu’un jour nous nous reposions ensembles
Dans un monde, peut-être, meilleur.

Il nous reste peu de temps,
Alors il nous va falloir
Etre nombreux, et efficaces.

« Reste et bats-toi. Je suis un, et nous serons deux. Deux de plus pourraient nous rejoindre et ça fera quatre. Quand quatre de plus nous rejoindront, nous serons huit. Nous serons huit personnes à nous battre tandis que d’autres personnes nous rejoindront. Et puis d’autres, et d’autres encore. Reste et bats-toi. »
Derrick Jensen

Chatterton

Vincent van Gogh – mittagsrast)

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