A la magie retrouvée

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Et à celle qu’entre temps 
nous avons perdu…

Nous pouvons appeler magie la concrétisation dans la matière des aspirations de l’esprit, l’incarnation dans le monde extérieur de nos élans intérieurs, le résultat des puissances individuelles additionnées.
La magie serait ce souffle devenu force, cette idée devenue Œuvre.
Nous pouvons aussi appeler magie toutes les forces qui existent au milieu: l’entre-aide, la coopération, la synergie qui existe entre les humains et les autres. Ne sont-ils pas magiques, ces moments où des humains s’associent pour bâtir quelque-chose ensemble ou lorsque d’autres espèces, animales et végétales, se font adjuvantes les unes des autres pour se compléter, entrer en symbiose ou en rivalité.
Lorsque le soleil croise l’eau. Lorsque la racine s’offre à la Terre. Lorsque la plante nourrit l’insecte et vice-versa. Lorsque des humains en aident d’autres. Lorsque nous faisons preuve d’Humanité.
Il y aurait donc magie ici, lorsque des éléments s’associent dans le sens de l’œuvre Vivante.
Ce serait cette force que nous déployons singulièrement et collectivement pour exister dans le monde. C’est cette force dont nous usons et que nous devons nourrir, comme on donne des bûches aux flammes. Comme on entretient un feu qui réchauffe.

Si nous parlons de magie, nous pouvons logiquement comprendre que nous avons pouvoirs. Dès lors, nous devons questionner leurs impacts et accorder ces derniers à notre morale, les rendre fidèles à nos élans, sans quoi, si nous réalisons l’oeuvre-inversée de ce que nous jugeons bon nous sombrerions inévitablement vers des formes de trouble. Vers ce que d’autres appellent des « dissonances cognitives », cet écart entre ce que nous souhaitons et ce que nous faisons.
Et quelle est-elle, cette morale ? Vers quoi tendent-ils, ces élans ? Si nous avons pouvoirs, ne devrions nous pas sans cesse affermir nos notions du juste, affûter sans cesse nos actions et convictions, puis constamment douter de nous-mêmes afin de régulièrement se remettre en question. Rester méfiant envers soi et se voir comme un ennemi potentiel, les Anarchistes ont bien compris cela.
Il semble donc que nous possédons de nombreux pouvoirs qui ensembles créent magie. Nous sommes, avec d’autres non-Humains, les sorcières, mages, druides du monde vivant. Nous avons alors la responsabilité de diriger de tels pouvoirs pour donner une magie juste.

« La magie, où est-elle vraiment ? »
« Comme les Zones A Défendre, elle est partout. » 



N’y a-il pas magie à coopérer avec la Terre pour qu’elle nous nourrisse ? A plonger les mains dans un terreau fécond, à comprendre ce qui se passe en son ventre et de cela, sortir respectueusement une nourriture qui prend alors un sens profond et un goût merveilleux. Il y a là un geste aussi simple qu’il est ancien, miraculeux et émancipateur. Ceux qui savent les mystères du sol, des plantes et des arbres acquiesceront. 
Les autres, nous les invitons à découvrir…
N’y a-il pas magie à savoir lire la forêt, à savoir vivre avec elle, déchiffrer ses arbres et comprendre leurs peines comme leurs forces ? « Celui-ci est ancien, plus grand que les autres, il porte l’ensemble, nous le laisserons. Celui-là, au tronc bien droit et à la croissance vigoureuse, nous le couperons d’ici quelques années pour en faire du bois d’oeuvre, pour abriter des familles sous les poutres d’une maison. Lui, qui est malade, qui empêche les autres de pousser, nous le taillerons aujourd’hui pour en faire du bois de chauffe. Les autres, nous les laissons à eux-mêmes, au sauvage. » Nous remercions, ainsi, la forêt de nous accueillir, car finalement nous — et d’autres — habitons bel et bien sous son aile d’écorce, elle qui porte nos charpentes. Nous la remercions aussi de nous chauffer, de nous protéger ainsi de l’hiver, d’abriter d’autres espèces, de nous faire rêver, de jouer son rôle…
N’y a-il pas magie dans un pain qui cuit, dans cette alchimie du feu, de l’eau, de l’air et des oeuvres de la Terre ?
N’y a-il pas magie à s’incarner dans un cycle, à savoir faire vivre, nourrir et tuer comme il faut ? A se savoir prédateur, mais aussi protecteur. A rendre hommage à ce que nous tuons car c’est un acte nécessaire, de la plante qu’il faut désherber à l’animal dont nous donnons la mort pour qu’il nourrisse, à son tour, d’autres êtres. A tous ceux-là nous disons pardon, et merci.
N’y a-il pas magie, lors d’une insurrection — ou toute construction collective — à se lier à une masse d’inconnus, à y tisser spontanément des liens étroits, à nourrir l’entre-aide et la camaraderie, se tenants unis pour avancer vers un horizon lointain, contre un ennemi commun ?
N’y a-il pas finalement magie à simplement célébrer ce qui nous permet d’être Vivants, à remercier — puis défendre — ce dont nous dépendons: toutes ces espèces autres qu’humaines et puis l’air, la pluie, la Lune et le Soleil, la joie et l’Amour tout autour ?

La magie, c’est donc peut-être cela: oser ne pas comprendre scientifiquement tous les aspects d’un milieu ou d’un moment, mais alors en saisir et en sentir toutes les forces qui agissent, toutes les puissances qui entrent en jeu; puis se savoir parmi elles.
Nous sommes assis dans la magie. Ne la ressentez-vous pas ?
La puissance collective des humains, les cycles de l’eau, la complexité du sol vivant, l’énergie du soleil et des astres, ne sont-elles pas autant de mères, de fées, d’adjuvants ?

Mais à l’inverse, car nous vivons dans le contraste, quel sens, quelle magie peut-on trouver à pousser un caddie ? A vivre entouré d’artificiel ? A mourir lentement devant des écrans ? A travailler pour tout cela et nourrir le ravage ?
Le considéré normal ressemble de plus en plus à l’abject. 
Nos sociétés se creusent, le sens se vide. Les repères s’effacent. 
Alors risquons nous à nommer magie, perdue ou retrouvée, magie tout court, tout ce qui va dans le sens de l’élan vital. Ce qui en nous est profond, enfoui, Humain, et les puissances décuplées que nous pouvons en tirer. Cet élan vital, dans les circonstances actuelles, ne peut-être qu’une riposte face à l’abject, au mortifère. C’est ainsi que nous devons développer une magie de la lutte, de l’insurrection et de l’autrement. 
Nous pouvons tenter de le faire, de la nommer ainsi, car ce sont aussi les mots, les idées, les concepts et les histoires qu’il faut reprendre, en plus de nos conditions matérielles d’existence.
La magie c’est toute cette matière inattrapable qui fait nous.
La magie s’est le réel ajusté à nos perceptions-fines.
L’irréel, c’est ce que propose la métropole et son monde.

C’est l’hypnose des médias, du fric et des pubs, l’absurdité de nos modes de vie obsolètes et néfastes, c’est les mirages du capitalisme, les artifices de la politique et du langage.
C’est manger des tomates en hiver et avoir 500 morts dans les rues, c’est climatiser les rues en été et avoir 600 noyés aux portes de la Méditerranée, c’est s’empoisonner à chaque bouchée, s’intoxiquer à chaque balade, c’est soumettre le dernier espace jadis vacant — qu’il soit intime ou naturel — à la rentabilité du Capital.
C’est ce que nous avons du perdre en chemin pour encore nommer confort ce qui finalement ne tient que du désastre.
C’est ce que nous avons du perdre en chemin pour encore nommer progrès ce qui ne tient que de l’exploitation, de la guerre et de l’oppression. 
Quoi qu’il en soit, il ne semble pas qu’il faille encore citer et prouver tant cet irréel chaque jour s’effrite, tant le déséquilibre devient palpable. Vous l’avez bien compris, c’est une histoire de sortilèges et d’ensorcellements. Face à cet irréel de circonstance s’opposera la magie.

Nous avons été pillés de nos coutumes, de nos rapports aux forces aux choses, aux éléments et à la vie. Nous avons donc une revanche à prendre, des couches de réalité à retrouver sous le vernis de l’illusion-moderne.
Nous sommes dans l’urgence d’une ré-invention collective.

La magie est concrète, ce n’est pas celle des contes pour enfants, mais bien celle de notre force collective d’action et d’imagination. Elle est bien plus terre-à-terre que ce que l’on peut projeter quand on entends ce mot: « magie ». C’est notre force de résistance, de création, de savoir-vivre. C’est la puissance de notre autonomie-liberté, du rituel retrouvé, des coutumes réinventées, des campagnes imaginées et d’une nature à jamais sauvage. 
C’est la magie à l’œuvre lorsque nous cheminons vers l’émancipation personnelle et collective, celle des réalités nouvelles que nous opposons — et imposons — aux normes actuelles.
Ce sont nos idées outillées de pouvoirs.

Nous trouverons comment faire. Il y a de la joie à augmenter nos compétences, à tisser nos liens sur le métier des jours, à résister et à faire vivre la résistance, à s’empuissanter et à perfectionner la joie. Nous raffinerons la liberté pour la ramener au plus près de nous.
Et qu’est-ce que c’est, la liberté ?

N’est-ce pas ceci: ne pas subir ce que l’on refuse et s’accorder ce que l’on désire ? Alors, fidèles à nos pouvoirs, nous allons affermir nos aversions et domestiquer nos désirs. Mais ne croyez pas que nous en serrons frustrés, tristes ou amoindris, mais à l’inverse: entiers, pleins d’une joie sincère, qui ne dépends désormais que de nous et qui est donc intarissable. Et puis, ce que l’on déteste ne manque jamais et ce que l’on aime, et bien nous l’aurons pour nous et en partage !
La liberté, c’est aussi s’assurer que celles et ceux vivant autour le soient autant que nous, car celle-ci est sans saveur ni intérêt si elle n’est pas partagée, si elle ne se fait pas collective. Nous veillerons ainsi à ce que jamais des pouvoirs agissent dans le sens de l’oppression — individuelle ou systémique —, en leur opposant les nôtres. Encore une fois, nous rendrons cette existence magique en lutant toujours contre ce qui nuit au Vivant, en démultipliant nos forces et en les articulant au nombre, en se connectant à d’autres, en faisant vibrer les tambours d’envoûtements libertaires et humanistes, en désirant toujours la justesse, l’harmonie, la joie, et aussi en acceptant la mort.

Enfin, pourquoi parler autant de magie ? Pour (ré)enchanter le réel, pour donner un autre angle à l’instant présent, pour lui rendre sa puissance et la notre. Pour faire parler les choses, le silence et l’insoupçonné. Pour faire émerger de partout des encouragements, pour faire chanter des incantations.
Car magie est liée au pouvoir, donc pour rappeler que nous en avons toutes et tous, et devons en user avec justesse. 
Pour s’unir à ce qui nous dépasse, ne serais-ce que pour un instant, car c’est ce qui nous revigore. Pour faire encore savoir que nous, celles et ceux qui luttent toujours, nous sommes pleins et pleines de forces, et qu’autour de nous encore, d’autres forces agissent, Œuvrent, dans le tumulte ou le silence. Nous ne sommes ainsi jamais vraiment solitaires, et demeurerons inarrêtables.

Usons de tout nos pouvoirs pour vivre le plus joliment que nous pouvons,
Pour émanciper, empuissanter et autonomiser
L’individu et le collectif,
Pour créer Commun et Communes,
Résilience et Résistance,
Écologie sociale et radicale,
Féministe et décoloniale,
Pour amener ce que nous souhaitons voir advenir,
Et pour détruire ce qui nous nuit.

Et finalement, n’avons nous pas ici, une preuve supplémentaire de magie: celle du langage ?

Dans l’espoir qu’elle agisse…
Chatterton

Photographie: Willy Ronis

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